Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 28
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Nul n'ignorait dans tout le pays de Bourgogne, combien le duc Philippe etait sensible a la beaute des femmes. Ce retour triomphal donna beaucoup a penser a Mathieu Gautherin. Apparemment, le duc et sa niece avaient fait la paix. Restait a savoir jusqu'ou cette paix etait allee et, tout en bousculant ses valets endormis pour leur faire terminer le chargement, Mathieu se promit d'ouvrir l'?il. Il etait de ces gens de bien pour qui un batard, meme royal, ne constitue nullement un cadeau du ciel.
Malgre les conseils de son oncle, Catherine avait refuse de ranger son magnifique manteau dans l'un des coffres de voyage. Elle avait remplace la robe de soie dechiree par une simple robe de blanchet, ce drap leger et fin que tissaient les femmes de Valenciennes. Ses cheveux, soigneusement tresses et tires, avaient ete releves dans une coiffe de fine toile des Flandres dont un pan, passant sous le menton, emprisonnait etroitement son visage. Mais sur le tout, elle avait remis le fameux manteau de velours.
— Si jamais nous rencontrons des routiers, avait grommele Mathieu, mal remis de ses emotions, ils te prendront pour une noble dame et nous serons impitoyablement mis a rancon...
Mais Catherine etait si heureuse de posseder ce vetement fastueux qu'elle n'avait rien voulu entendre.
— Il risquerait de s'abimer, tasse dans un coffre. Et puis ce n'est pas a Dijon que je pourrai le porter ! Maman ne le permettrait pas, rien que pour ne pas contrarier la dame de Chancey ou la douairiere de Chateauvillain qui n'en ont pas de pareil. Alors, autant en profiter maintenant...
Et fiere comme une reine, Catherine, drapee dans ses zibelines malgre la douceur de la nuit, avait pris place sur sa mule. La petite caravane du marchand s'etait mise en marche derriere le destrier de Roussay jusqu'aux murailles de la ville. A la porte Sainte- Catherine, dont le capitaine avait ordonne l'ouverture au nom du duc, on s'etait separe avec un bref salut mais, en s'inclinant legerement devant la Jeune fille, Jacques de Roussay avait murmure un « A bientot », qui avait fait sourire Catherine. Elle n'avait pas repondu. C'etait bien inutile. Depuis qu'il la savait Dijonnaise, Roussay revait tout eveille...
Ce n'etait pas pour le regarder encore que la jeune fille s’etait retournee avant de franchir la haute porte fortifiee. C'etait seulement pour evoquer un instant la haute silhouette mince et noire, le visage pale de Philippe, ses yeux ardents quand il s'etait penche sur son cou.
Pour la premiere fois de sa vie, Catherine sentait que cet homme-la pouvait avoir sur elle une emprise. Il l'intriguait et l'inquietait a la fois. L'amour d'un homme tel que lui devait donner a la vie un certain prix. Peut-etre la peine d'etre vecue...
Une fois franchie la porte Sainte-Catherine, elle ne se retourna plus.
Reglant le pas de sa mule sur celle de Mathieu, elle se laissa bercer par le trottinement de la bete. De grandes etendues plates de champs, traversees de canaux, s'etendaient a perte de vue, coupees parfois de boqueteaux ou de la forme fantomale d'un moulin a vent. Des oiseaux de mer rayaient le ciel etoile de leur vol bas, attires par la clarte de la lune, si intense qu'elle concurrencait le jour. Catherine respirait avec delices l'air charge d'iode et de sel qu'apportait a ses narines le vent venu de la mer. Elle rejeta le capuchon de velours sur ses epaules, degrafa le manteau. Cette route defoncee par les charrois, creusee d'ornieres profondes ou glissait parfois le pas des mules, menait vers un horizon qu'elle connaissait bien et qui, cependant, venait de prendre des couleurs nouvelles.
Aux premieres heures du jour, le beffroi de Courtrai surgit de la plaine.
— Nous nous arreterons a l'auberge du Panier d'Or, fit Mathieu qui n'avait pas ouvert la bouche pour l'excellente raison qu'il etait entraine depuis longtemps a dormir sur le dos de sa mule. Je suis rompu !
Et nous resterons jusqu'a demain. J'ai a faire avec les liniers de la cite.
Catherine avait sommeil. Elle n'y voyait aucun inconvenient.
En quittant Courtrai, Mathieu Gautherin decida d'aller bon train. Il estimait avoir suffisamment perdu de temps et souhaitait revoir bientot les murs de Dijon, les tours de Saint Benigne et les coteaux de Marsannay ou il avait sa vigne. Bien sur, il n'avait aucune inquietude pour sa maison demeuree a la garde de sa s?ur Jacquette, de sa niece Loyse et de cette Sara qu'elles avaient amenee avec elles depuis Paris et a laquelle, malgre les annees ecoulees, Mathieu n'etait pas encore parvenu a s'habituer. Catherine, que cela amusait beaucoup, pretendait que l'oncle Mathieu avait peur de Sara, ce qui ne l'empechait pas d'en etre amoureux, et que c'etait justement cela qu'il ne lui pardonnait pas.
Talonnant sa mule, le chaperon sur le nez, Mathieu marchait comme si le diable eut ete a ses trousses. Catherine trottait aupres de lui, les trois valets derriere, deux sur une seule ligne et le troisieme en arriere-garde a l'extremite de la caravane. On avait quitte les terres du duc de Bourgogne. Bientot on quitterait celles de l'eveque de Cambrai pour entrer sur les domaines du comte de Vermandois, un chaud partisan du dauphin Charles. Il serait plus prudent de ne pas s'y attarder. C'etait la hate de franchir ce mauvais pas qui donnait des ailes au brave drapier.
On suivait pour le moment le cours superieur de l'Escaut, en se dirigeant vers Saint Quentin. Le chemin, serpentant, le long de l'eau, coulait facilement entre des collines vertes, des courbes douces mouchetees de moutons blancs qui eloignaient jusqu'a l'idee meme de la guerre. Pourtant de loin en loin, un village detruit, brule jusqu'aux fondations, qui ne tendait plus vers le ciel que quelques poutres informes sur un terrain charbonne, disait que ce pays ne connaissait pas la paix. Parfois aussi un cadavre, pendu a la branche basse d'un arbre, dessinait parmi les jeunes feuilles un gros fruit lugubre devant lequel Catherine detournait les yeux.
Le jour declinait et le crepuscule apportait avec lui d'epais nuages gris de fer moutonnant d'inquietante facon au-dessus des croupes herbeuses. Catherine, saisie par la fraicheur de l'air, frissonna.
— Nous allons avoir de l'orage, fit l'oncle Mathieu qui observait l'horizon depuis un moment. Le mieux serait de s'arreter a la prochaine auberge. Pressons le pas. Si ma memoire est bonne, il y en a une a la croisee de la route de Peronne...
Les mules, talonnees vigoureusement, prirent un petit galop sec, tandis que les premieres gouttes d'eau commencaient a tomber. Au bout d'un moment, Catherine arreta sa monture tout net, obligeant Mathieu a en faire autant.
— Qu'est-ce qui te prend ? maugrea l'oncle.
Mais la jeune fille descendait calmement de sa selle, otait son manteau qu'elle pliait soigneusement et se dirigeait vers l'une des mules de bat, celle qui portait son coffre de voyage.
— Je ne veux pas abimer mon manteau. La pluie le perdrait.
— Et tu preferes nous faire tremper maintenant ? Si tu m'avais ecoute, mais tu n'en fais jamais qu'a ta tete ! La nuit tombe, la pluie aussi... J'ai horreur de ca, moi ! C'est tres mauvais pour mes douleurs !
Aidee de Pierre, le plus vieux des valets qui avait toujours eu pour elle toutes les indulgences, Catherine rangea son manteau sans s'emouvoir, en prit un dont l'epaisse bure noire etait a l'epreuve des plus grosses averses, s'en enveloppa et se dirigea vers sa monture pour remonter en selle.
C'est alors que quelque chose attira son attention. Les roseaux etaient particulierement epais a cet endroit et formaient, avec trois gros saules noueux, une sorte de fourre que renforcaient encore des ronces. Or, au milieu de ce fourre, quelque chose brillait de maniere insolite, quelque chose de noir. Obliquant vers la berge, Catherine s'approcha du fourre.
— Eh bien, que fais-tu encore ? ronchonna Mathieu, la pluie tombe deja bien, je ne sais pas si tu t'en rends compte...
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