Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 25
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Soyez sans crainte. Le prevot pensera que maitre Amable avait trop bu et nul n'aura idee de chercher par ici. D'ailleurs, les sabots enveloppes de vos chevaux n'auront pas laisse de traces reconnaissables dans toute cette boue.
— Tu es un brave garcon, Justin. Je te revaudrai cela.
Le rire leger du jeune homme tinta dans la nuit, insouciant, reconfortant.
— Rendez-le a mon pere, maitre Jacques, en lui commandant quelque belle piece quand vous serez riche et puissant. Il reve de tisser la plus belle tapisserie du monde et il ne cesse de dessiner belles dames et animaux fantastiques.
— Ton pere est un grand artiste, Justin, je le sais depuis longtemps.
Je n'aurai garde de l'oublier. Jusqu’au revoir, mon enfant, et encore merci ! Car je sais que tu risques quelque chose malgre ce que tu en dis !
— S'il n'y avait pas risque, messire, ou serait l'amitie ? Allez avec Dieu et ne vous souciez pas de moi, mais faites vite par pitie !
Sans ajouter un mot, Jacques serra la main du jeune homme puis aida Catherine a franchir les pierres ecroulees de la courtine. Au-dela s'ouvrait l'air libre. On etait sur un petit plateau ou le vent soufflait avec violence, mais, plus loin, la colline montait encore. Pendant quelques instants, les voyageurs marcherent sans parler, menant toujours les chevaux par la bride. La nuit semblait se faire moins noire ou bien les yeux s'habituaient. Catherine pouvait distinguer des formes d'arbres dont les branches nues se tordaient sous les brusques bourrades.
A une croisee des chemins marquee d'un calvaire de pierre, Jacques s'arreta.
— C'est ici que nous nous separons, Catherine. Cette route, dit-il, designant celle de droite qui escaladait la colline, est la mienne. Elle conduit a Clermont d'ou je descendrai sur la Provence. La votre est celle de gauche. A peu de distance, vous trouverez le prieure de Saint-Alpinien ou, si le c?ur vous en dit, vous pourrez attendre le jour et prendre un peu de repos.
Il n'en est pas question, Jacques ! Je desire mettre autant de chemin que possible entre les prisons d'Aubusson et notre groupe. Mais je regrette de vous quitter.
Instinctivement, pour avoir encore un instant de solitude, le pelletier et la jeune femme s'etaient eloignes au-dela de la croix hosanniere, laissant Sara et Frere Etienne demailloter les pieds des chevaux. Catherine eprouvait un regret profond en voyant Jacques s'eloigner. Il representait cette solidite, cette force masculine rassurante dont la fuite de Gauthier l'avait privee et qui lui manquait si cruellement. Les heures noires precedant le matin pesaient sur elle de toute leur desesperance et une angoisse lui venait de ces routes inconnues ou il lui fallait s'enfoncer. Jamais peut-etre, autant qu'au pied de cette croix de lave, le regret d'un vrai foyer, d'une vie normale ne lui etait venu d'une maniere aussi poignante. Instinctivement, elle saisit la main de Jacques, s'y agrippa tandis que des larmes montaient a ses yeux.
— Jacques, murmura-t-elle, suis-je donc condamnee a l'errance eternelle, a la solitude sans fin ?
Quelque chose s'emut dans le visage tendu du pelletier. Celui de Catherine s'etait leve vers lui et telle etait la magie que degageait sa beaute, meme au c?ur d'une nuit sombre, qu'un nuage passa devant ses yeux tandis qu'une pensee folle se glissait dans son cerveau si sage. Il ne comprit pas que Catherine subissait la une depression passagere, nee de la nuit, du froid et de sa fatigue plus que de sa raison. A son tour, il etreignit les mains menues, les appuya contre sa poitrine.
— Catherine, s'ecria-t-il, et sa voix, sans qu'il en eut conscience, s'etait chargee de passion, ne nous quittons pas ! Venez avec moi !
Nous irons en Orient, a Damas, ou Je vous ferai Reine, ou je saurai faire couler a vos pieds tous les tresors arraches au c?ur de l'Asie par les caravanes. Avec vous, pour vous, rien ne me sera impossible !
Une telle ardeur s'etait levee en lui que son souffle brula le front de Catherine. D'ailleurs, la minute de faiblesse etait passee. Elle avait ete heureuse de retrouver Jacques et elle avait peine a s'en separer de nouveau, mais qu'avait-il donc compris ? Doucement, elle retira ses mains, sourit.
— Nous sommes si las et nous avons eu si peur que nous sommes aussi un peu fous, n'est-ce pas, Jacques ? Que feriez-vous de moi dans vos voyages aventureux ? Et que deviendrait votre plan grandiose qui doit donner au royaume richesse et prosperite ?
— Qu'importe tout cela ! Vous valez mieux qu'un royaume ! Des le premier instant ou je vous ai vue, parmi les dames de parage de la reine Marie, j'ai su que, pour vous, je pourrais tout renoncer, tout abandonner...
— Meme Macee et les enfants ?
Un silence suivit. Jacques s'etait raidi contre l'image si doucement evoquee par Catherine. Elle pouvait l'entendre respirer plus fort. Puis sa voix lui parvint, lointaine, assourdie mais ferme.
— Meme eux... oui, Catherine !
Elle ne lui laissa pas le temps d'en dire davantage, le danger etait trop pressant. Depuis longtemps, elle avait devine que Jacques eprouvait pour elle de tendres sentiments, mais elle n'avait jamais imagine pareil amour. Il n'etait pas homme a s'engager ainsi. Qu'elle le prit au mot et il abandonnerait tout pour elle, avenir, famille, fortune. Lentement, elle secoua la tete.
— Non, Jacques, nous ne ferons pas cette folie que nous regretterions. J'ai parle par lassitude, par lachete peut-etre, et vous par trop grande spontaneite. L'un comme l'autre, nous avons une tache a accomplir dans ce pays. D'autre part, vous aimez trop Macee, meme si pour l'instant vous ne le croyez pas, pour lui faire cette peine. Quant a moi... oh moi, mon c?ur est mort en meme temps que mon epoux.
— Allons donc ! Vous etes trop jeune, trop belle pour qu'il n'en soit autrement.
Et pourtant il en est ainsi, mon ami, fit Catherine fermement, appuyant intentionnellement sur le mot ami. Je n'ai jamais vecu, respire, souffert que pour et par Arnaud de Montsalvy. La vie, l'amour, la seule raison d'etre n'ont jamais reside qu'en lui. Depuis qu'il n'est plus la, je suis un corps sans ame et c'est, sans doute, heureux car cela me permettra d'accomplir sans faiblir la tache que je me suis donnee.
— Quelle est cette tache ?
— Qu'importe ! Mais elle peut me couter la vie. En ce cas, souvenez-vous, Jacques C?ur, que vous avez en charge la fortune de Michel de Montsalvy, mon fils, et priez pour moi. Adieu, mon ami !
Rassemblant les plis de son manteau que le vent soulevait, Catherine se detourna pour rejoindre Sara et Frere Etienne. La protestation douloureuse de Jacques lui parvint comme un souffle.
— Non, Catherine, pas adieu... au revoir !
Sous l'ombre de son capuchon, elle cacha une grimace. C'etaient les memes mots, ou presque les memes qu'elle avait cries dans le chemin vide de Carlat, a demi folle de souffrance, mais acharnee a un espoir qui ne voulait pas mourir. Les memes mots, oui... mais le tourment n'y etait pas. Le cours de sa vie tumultueuse allait reprendre Jacques des que le tournant de la route les aurait separes. Et c'etait tres bien ainsi !
Elle se pencha vers Sara qui s'etait assise sur une pierre, pelotonnee sur elle-meme pour avoir moins froid, et lui tendit la main pour l'aider a se relever en souriant a Frere Etienne.
— Je vous ai fait attendre, pardonnez-moi ! Maitre C?ur m'a chargee de vous dire adieu. Maintenant, voici notre route.
Sans un mot, ils se remirent en marche. Le chemin obliquait vers la gauche et, d'abord, descendait pour longer un etang. Le croissant de lune apparu au ciel noir y tracait des moirures legeres et en dessinait le contour. Remontee sur son cheval, Catherine se detourna. La faible lumiere lui permit encore d'apercevoir la silhouette de Jacques dont le manteau claquait au vent. Sans se retourner, il escaladait la colline.
La jeune femme poussa un soupir et se redressa sur sa selle. Cette faiblesse sentimentale qui l'avait abattue un instant serait la derniere avant la chute de La Tremoille. Dans le dangereux pays de la Cour ou elle allait evoluer, il n'y avait pas de place pour ce genre de choses.
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