Путешествие к центру Земли / Voyage au centre de la Terre - Верн Жюль Габриэль - Страница 2
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J’attendis quelques instants. Le professeur ne vint pas.
« Je n’ai jamais vu chose pareille ! disait la bonne Marthe. M. Lidenbrock qui n’est pas à table ! Cela présage quelque événement grave ! »
J’en étais à ma dernière crevette, lorsqu’une voix retentissante m’arracha aux voluptés du dessert[13]. Je ne fis qu’un bond de la salle dans le cabinet.
III
« C’est évidemment du runique, disait le professeur en fronçant le sourcil. Mais il y a un secret, et je le découvrirai, sinon… »
Un geste violent acheva sa pensée.
« Mets-toi là, ajouta-t-il en m’indiquant la table du poing, et écris. »
En un instant je fus prêt.
« Maintenant, je vais te dicter chaque lettre de notre alphabet qui correspond à l’un de ces caractères islandais. Nous verrons ce que cela donnera. »
La dictée commença. Je m’appliquai de mon mieux[14] ; chaque lettre fut appelée l’une après l’autre, et forma l’incompréhensible succession des mots suivants :
Quand ce travail fut terminé, mon oncle prit vivement la feuille sur laquelle je venais d’écrire, et il l’examina longtemps avec attention.
« Qu’est-ce que cela veut dire ? » répétait-il machinalement.
Sur l’honneur, je n’aurais pas pu le lui apprendre. D’ailleurs il continua de se parler à lui-même :
« C’est ce que nous appelons un cryptogramme, disait-il, dans lequel le sens est caché sous des lettres brouillées à dessein[15], et qui convenablement disposées formeraient une phrase intelligible. Cela peut nous conduire à une grande découverte ! »
Pour mon compte, je pensais qu’il n’y avait absolument rien, mais je gardai prudemment mon opinion.
Le professeur prit alors le livre et le parchemin, et les compara tous les deux.
« Ces deux écritures ne sont pas de la même main, dit-il ; le cryptogramme est postérieur au livre, et j’en vois tout d’abord une preuve irréfragable. En effet, la première lettre est une double M, et elle ne fut ajoutée à l’alphabet islandais qu’au quatorzième siècle. Ainsi donc, il y a au moins deux cents ans entre le manuscrit et le document. »
Je fus d’accord.
« On peut imaginer que l’un des possesseurs de ce livre aura tracé ces caractères mystérieux. Mais qui diable était ce possesseur ? N’aurait-il point mis son nom en quelque endroit de ce manuscrit ? »
Mon oncle releva ses lunettes, prit une forte loupe, et passa soigneusement en revue les premières pages du livre. Au verso de la seconde, celle du faux titre[16], il découvrit une sorte de macule, qui faisait à l’œil l’effet d’une tache d’encre. Cependant, il put y distinguer quelques caractères à demi effacés. Sa grosse loupe aidant, mon oncle finit par reconnaître les signes.
« Arne Saknussemm ! s’écria-t-il d’un ton triomphant, mais c’est un nom cela, et un nom islandais encore, celui d’un savant du seizième siècle, d’un alchimiste célèbre ! »
Je regardai mon oncle avec une certaine admiration.
« Ces alchimistes, reprit-il, Avicenne[17], Paracelse[18], étaient les véritables, les seuls savants de leur époque. Ils ont fait des découvertes dont nous avons le droit d’être étonnés. Pourquoi, ce Saknussemm n’aurait-il pas enfoui sous cet incompréhensible cryptogramme quelque surprenante invention ? Cela doit être ainsi. Cela est. »
« Sans doute, osai-je répondre, mais quel intérêt pouvait avoir ce savant à cacher ainsi quelque merveilleuse découverte ?
– Pourquoi ? pourquoi ? Eh ! le sais-je ? Galilée n’en a-t-il pas agi ainsi pour Saturne ?[19] D’ailleurs, nous verrons bien : j’aurai le secret de ce document, et je ne prendrai ni nourriture ni sommeil avant de l’avoir deviné.
– Oh ! pensai-je.
– Et d’abord, fit mon oncle, il faut trouver la langue de ce « chiffre. » Cela ne doit pas être difficile. »
À ces mots, je relevai vivement la tête. Mon oncle reprit son soliloque :
« Rien n’est plus aisé. Il y a dans ce document cent trente-deux lettres qui donnent soixante-dix neuf consonnes contre cinquante-trois voyelles. Or, c’est à peu près suivant cette proportion que sont formés les mots des langues méridionales. Il s’agit donc d’une langue du Midi. »
Ces conclusions étaient fort justes.
« Mais quelle est cette langue ? »
« Ce Saknussemm, reprit-il, était un homme instruit ; or, dès qu’il n’écrivait pas dans sa langue maternelle, il devait choisir de préférence la langue courante entre les esprits cultivés du seizième siècle, je veux dire le latin. J’ai donc le droit de dire à priori : Ceci est du latin. »
Je sautai sur ma chaise. Mes souvenirs de latiniste se révoltaient contre la prétention que cette suite de mots baroques pût appartenir à la douce langue de Virgile[20].
« Oui ! du latin, reprit mon oncle, mais du latin brouillé.
– À la bonne heure ![21] pensai-je.
– Examinons bien, dit-il, en reprenant la feuille sur laquelle j’avais écrit. Voilà une série de cent trente-deux lettres qui se présentent sous un désordre apparent. Il y a des mots où les consonnes se rencontrent seules comme le premier « nrnlls, » d’autres où les voyelles, au contraire, abondent. Or, cette disposition n’a évidemment pas été combinée : elle est donnée mathématiquement. Il me parait certain que la phrase primitive a été écrite régulièrement, puis retournée suivant une loi qu’il faut découvrir. Celui qui posséderait la clef de ce « chiffre » le lirait couramment. Mais quelle est cette clef ? Axel, as-tu cette clef ? »
À cette question je ne répondis rien, et pour cause. Mes regards s’étaient arrêtés sur un charmant portrait suspendu au mur, le portrait de Graüben. Nous nous aimions, et nous étions fiancés à l’insu de mon oncle, trop géologue pour comprendre de pareils sentiments. Graüben était une charmante jeune fille blonde aux yeux bleus ; je l’adorais. Elle m’aidait à ranger chaque jour les précieuses pierres de mon oncle ; elle les étiquetait avec moi. C’était une très forte minéralogiste que mademoiselle Graüben ! Que de douces heures nous avions passées à étudier ensemble ! et combien j’enviai souvent le sort de ces pierres insensibles qu’elle maniait de ses charmantes mains !
Or, j’en étais là de mon rêve, quand mon oncle, frappant la table du poing, me ramena violemment à la réalité.
« Ce n’est pas cela ! s’écria mon oncle, cela n’a pas le sens commun ! »
Puis, traversant le cabinet comme un boulet, descendant l’escalier comme une avalanche, il se précipita dans Königstrasse, et s’enfuit.
IV
« Il est parti ? s’écria Marthe en accourant au bruit de la porte de la rue.
– Oui ! répondis-je, complètement parti !
– Eh bien ? et son dîner ? fit la vieille servante.
– Il ne dînera pas !
– Et son souper ?
– Il ne soupera pas !
– Comment ? dit Marthe en joignant les mains.
– Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dans la maison ! Mon oncle Lidenbrock nous met tous à la diète jusqu’au moment où il aura déchiffré un vieux grimoire qui est absolument indéchiffrable !
– Jésus ! nous n’avons donc plus qu’à mourir de faim ! »
Je n’osai pas avouer qu’avec un homme aussi absolu que mon oncle, c’était un sort inévitable.
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