Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 8
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derriere lui avec le soin d'un bon bourgeois. Vu de plain-pied, il etait tres grand et maigre, ce qui le forcait a se tenir un peu voute. Ses jambes immenses et ses bras de faucheux etaient a demi dissimules sous une vaste houppelande effrangee, mais faite d'un lainage epais, sur laquelle etaient cousues une bonne vingtaine de coquilles Saint-Jacques. Sa maison fermee, il souhaita le bonsoir a Landry et a Catherine puis, levant la lanterne dont il s'etait muni, eclaira le visage de Michel qu'il considera un moment avec attention.
— Tu n'iras pas loin, mon jeune seigneur, si tu continues a te promener ainsi attife, fit-il goguenard. Peste ! Des feuilles d'argent fin et les couleurs de Monseigneur le Dauphin. A peine hors du royaume d'Argot tu te feras repiquer. C'est tres joli de blanchir la marine1 et de bruler la politesse a Capeluche. Encore faut-il s'arranger pour que ca dure sinon c'est du temps de perdu. Le plan des mions est assez bon mais, jusqu'au Pont-au-Change, t'as au moins neuf chances sur dix de te faire poisser par les gaffres2.
Les longs doigts maigres, etrangement souples de Barnabe, soulevaient avec dedain les decoupures savantes de la hucque de soie violette et argent.
— Je vais la retirer, fit Michel qui voulut joindre le geste a la parole. Mais le Coquillart haussa les epaules.
— Il faudrait aussi retirer ta tete. Tu sens le chevalier a quinze pas.
Quant a ces deux-la, je me demande s'ils ne sont pas un peu fous de s'etre fourres dans cette histoire.
— Fous ou pas, on le sauvera ! s'ecria Catherine au bord des larmes.
... et puis, continua Landry furieux, on perd du temps. Tout ca, c'est des paroles. Il y a mieux a faire Faudrait qu'on pense un peu a rentrer.
Il fait nuit noire maintenant. Tu devrais nous aider a sortir d'ici, Barnabe.
Visiblement Landry commencait a penser a la raclee paternelle qui pouvait les attendre au retour, lui et Catherine. De plus, il fallait aussi faire entrer Michel dans la resserre des Legoix. Pour toute reponse, Barnabe deroula un paquet qu'il portait sous le bras. C'etait une houppelande grise, assez semblable a celle qu'il portait avec cette difference qu'elle etait peut- etre un peu moins sale. Il la jeta sur les epaules de Michel.
— Je vais te preter mon beau costume des jours de fete, ricana-t-il.
M'etonnerait qu'on devine qui tu es la-dessous. Quant a tes chausses, elles sont assez crottees maintenant pour qu'on n'en voie plus la couleur.
Avec une visible repugnance, le jeune homme passa les manches du vetement, non sans faire tinter les coquilles, rabattit sur sa tete le capuchon sous lequel il disparut completement.
— Le beau pelerin de Saint-Jacques que voila ! goguenarda Barnabe, puis changeant de ton : Et maintenant, en route ! Suivez-moi de pres, je vais souffler la lanterne.
Il prit la tete de la petite bande, serrant fermement dans sa grande patte la petite main de Catherine. On traversa la place fangeuse. Ici et la une lumiere tremblotante s'allumait, signalant le retour de la vie dans le dangereux quartier. Des ombres confuses glissaient le long des murailles suintantes. A grands pas, Barnabe s'engagea dans une nouvelle ruelle, s?ur jumelle de toutes celles parcourues jusque-la.
Toutes les voies du royaume des truands se ressemblaient, peut-etre a dessein, pour mieux tromper les archers. Parfois le chemin s'engouffrait sous une voute ou bien enjambait un ruisseau puant. Des silhouettes indecises, cahotantes et d'aspect fantastique dans ces tenebres, croisaient les fugitifs, de plus en plus nombreuses. Barnabe, parfois, echangeait avec eux d'incomprehensibles paroles, sans doute le mot de passe que le Ragot1 avait du edicter pour cette nuit-la.
L'heure etait venue du retour des faux estropies, faux pelerins, vrais mendiants et authentiques voleurs vers leurs repaires sordides. Bientot l'ancien rempart de Philippe- Auguste profila sur le ciel noir sa silhouette delabree, encore couronnee, de place en place, d'une echauguette croulante. Barnabe s'arreta.
— Maintenant, chuchota-t-il, va falloir faire gaffe ! Nous sommes a la limite du territoire des Gueux. Est- ce que vous vous sentez encore assez de c?ur au ventre pour courir ?
Landry et Michel, d'une seule voix, se declarerent prets mais Catherine sentait le c?ur lui manquer. Une invincible fatigue pesait sur ses paupieres, alourdissait ses membres. Sa main se crispa dans celle du Coquillart tandis qu'une larme roulait sur sa joue.
— Elle n'en peut plus, fit Michel apitoye. Je vais la porter. Elle ne doit pas etre bien lourde.
Deja, il enlevait l'adolescente dans ses bras.
— Mets tes bras autour de mon cou et tiens-toi bien, dit-il en souriant.
Avec un soupir de bonheur, la jeune fille glissa ses bras autour du cou du jeune homme, laissant sa tete lasse rouler contre son epaule.
Une joie profonde faisait place a la fatigue, jointe a un delicieux engourdissement. Elle pouvait voir, de tout pres, le profil net du jeune noble, elle sentait l'odeur chaude, legerement parfumee d'ambre de sa peau.'Une odeur raffinee de garcon soigne, habitue a user abondamment des etuves, et que ne parvenait pas a eteindre le relent de crasse du vetement dont il etait affuble. Personne ne 1.
Ragot ; titre que portait au Moyen Age le roi des truands (c'etait le nom d'un truand pendu jadis).
sentait aussi bon parmi tous ceux que connaissait Catherine ! Landry meprisait trop le savon pour degager autre chose que des effluves plutot forts. Caboche sentait.le sang et la sueur, Cauchon la poussiere rancie, la grosse Marion, la servante des Legoix, la fumee et les odeurs de nourriture, Loyse enfin la cire froide et l'eau benite. Meme Gaucher et sa femme ne sentaient pas aussi bon que Michel ! Mais celui-ci venait d'un monde a part, clos et secret, ou tout etait doux, facile et delicieux. Un monde dont l'enfant revait souvent quand elle voyait passer, dans leurs litieres tendues de soie, les belles dames de la cour, toujours scintillantes de brocarts et de bijoux.
Sous les jambes rapides des trois coureurs, les rues et les places defilaient. Nul ne songeait a s'etonner de cette course eperdue.
L'agitation etait toujours intense dans la ville. On pouvait meme dire qu'elle augmentait encore. La Bastille investie, l'hotel Saint- Pol envahi, les familiers du Dauphin captures, tout cela jetait le peuple dans une joie fievreuse qui se traduisait en corteges delirants, en chants et en danses autour des fontaines et dans les carrefours.
Personne ne faisait attention a ce groupe presse qui ne s'agitait, tout compte fait, pas beaucoup plus que les autres. Mais l'aspect des choses changea quand, apres avoir contourne le Grand-Chatelet par la rue Pierre-a-Pois- son, on fut en vue du Pont-au-Change. Les torches qui brulaient, fichees dans le mur pres de la voute du Chatelet, eclairaient les armes de deux archers postes a l'entree du pont. L'un d'eux se preparait meme a tendre la lourde chaine pour le fermer durant la nuit, isolant ainsi la Cite du reste de Paris. Aucun des fugitifs n'avait prevu que le pont pourrait etre garde militairement ce soir. Les deux soldats portaient le tabard de la Prevote de Paris : autant dire qu'ils etaient tout devoues aux insurges...
Michel posa Catherine a terre et regarda ses compagnons. Barnabe fit la grimace.
— Je ne peux plus vous aider en rien, les enfants. Je vois la des gens a qui j'aime autant ne pas me frotter. Alors, je me tire, c'est plus prudent ! Vous vous debrouillerez mieux sans moi avec les gaffres. Et toi, prends bien soin de mon beau costume, ajouta-t-il avec une grimace comique a l'adresse de Michel.
Les quatre complices s'etaient arretes, franchie la voute du Chatelet, a l'abri d'un contrefort de l'eglise Saint-Leufroy dont le chevet s'alignait sur les maisons du pont. Le ciel pluvieux avait par endroits de curieuses lueurs rouges, la ou des feux avaient ete allumes en plein vent. D'epais nuages, d'un noir de plomb, s'y detachaient. La pluie se remit a tomber. Barnabe s'ebroua comme un chien maigre.
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