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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта - Страница 24


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Le cas etait grave. Le duc de Savoie avait obtenu une nouvelle treve entre les princes ennemis. Or, sur l'instigation d'Odette, un turbulent chef de routiers que l'on appelait le batard de La Baume avait rompu cette treve en attaquant un village de Bourgogne. Pris et peu soucieux de laisser sa peau dans si mince affaire, le batard avait tout confesse. La riposte n'avait pas tarde : Odette, Etienne Chariot et un marchand de Geneve qui etait leur complice avaient ete jetes en prison ou la torture, puis la mort les attendaient.

Catherine ne parvenait pas a comprendre ce qui avait pu pousser Odette a une telle folie. On disait meme que le complot ambitionnait jusqu'a l'assassinat du duc Philippe ! Etait-ce l'annexion de sa ville ou bien la hate de voir triompher plus tot la cause du roi Charles VII a qui Dieu avait accorde un fils le 3 juillet 1423'? De toute facon, Catherine se refusait a laisser son amie sous pareille menace, dut-elle y risquer sa propre vie.

La Chartreuse de Champmol s'elevait hors des murs de la ville, entre la route de l'ouest et le cours de l'Ouche. Encore neuve, elle avait ete batie par le grand-pere de Philippe, le duc Philippe le Hardi, sur les plans de l'architecte Drouet de Dammartin. Bien souvent, Catherine avait entendu vanter les merveilles de ce couvent, l'une des plus grandes reussites de l'epoque, mais n'avait encore jamais eu l'occasion d'y entrer. Seuls les hommes pouvaient penetrer chez les Chartreux et les femmes n'etaient admises a la chapelle qu'en des occasions comme celle-ci. Cette chapelle avait remplace celle de Citeaux en tant que sepulture des ducs de Bourgogne.

Quand on eut traverse la porte d'Ouche, la saussaie aux arbres noircis et tordus par le gel, le grand enclos des Peres chartreux et le jardin, il faisait presque nuit et Catherine ne se soutenait plus qu'a grand-peine.

Continuellement, elle puisait dans les pilules ou bien respirait le flacon de vulneraire que lui avait remis Abou-al-Khayr. Car, malgre ses lourds vetements, un froid mortel se glissait en elle. La fumee des torches la faisait tousser. En franchissant le seuil de la chapelle, elle buta, faillit tomber. La main d'Ermengarde la retint juste a temps sous l'effigie de pierre de Philippe le Hardi qui priait orgueilleusement au fronton de la chapelle, en face de son epouse. Catherine lui adressa un regard reconnaissant. Elle n'avait pas ose appeler son amie a son secours. Comme Philippe lui-meme, Ermengarde paraissait un fantastique fantome noir aux yeux figes.

I. Le futur Louis XI.

La mort de sa duchesse avait cruellement frappe la Grande Maitresse. Sous ses voiles noirs, elle etait une autre femme... Mais sa main demeurait chaude et vigoureuse. Catherine en tira un regain de courage. Elle en avait grand besoin.

Elle ne vit a peu pres rien de la chapelle, merveille de l'imagier flamand Claus Sluter, ni les vitraux en grisaille armoriee, ni, dans le ch?ur, le joyau de pierre qu'etait le tombeau de Philippe le Hardi, ni les anges autour de l'autel, portant des candelabres et les instruments de la passion, ni, a la pointe de l'abside, l'archange d'or qui tenait deployee la banniere ducale.

Elle ne voyait que Philippe, son visage immobile qui ne la regardait pas, ses yeux gris qui ne cillaient pas. Autour d'elle, il n'y avait plus que des visages de pierre, des statues noires qui se mirent a tourbillonner... Planant au-dessus, les voix profondes des moines invisibles se mirent a psalmodier un chant funebre, ?uvre de Jacques Vide, un jeune valet de chambre de Philippe. Les paroles s'enflerent dans les oreilles bourdonnantes de Catherine avec un bruit d'orage et de menace.

« Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace.

Quia viderunt oculi mei salutare tuum... » « Maintenant, Seigneur, vous pouvez, selon votre parole, laisser votre serviteur s'en aller en paix, car mes yeux ont vu votre salut... »

Catherine sentit, a cet instant precis, qu'elle aussi s'en allait... Elle chancela. Le bras d'Ermengarde vivement passe autour de sa taille l'empecha de choir au milieu de la ceremonie et la maintint fermement.

— Petite sotte ! lui chuchota-t-elle avec une rude affection. Vous ne pouviez pas le dire ?

— Quoi ? balbutia Catherine defaillante.

Que vous attendiez un enfant ! C'est inscrit en toute lettre sur votre figure.

Et moi qui ne voyais rien !... Courage, c'est bientot fini, je ne vous lache pas.

Ermengarde avait subitement retrouve toute son humanite et Catherine pensa que, sans elle, elle fut morte sur place... En effet, la ceremonie s'achevait. Le duc Philippe, qui s'etait tenu tout ce temps dans la chapelle privee de la famille du cote de l'Evangile, remettait la depouille de sa mere au prieur de l'abbaye. Bientot, Marguerite de Baviere s'en irait rejoindre son epoux, sous la dalle de marbre noir qui marquait leur tombeau provisoire...

Mais, une seconde, Catherine avait senti son regard sur elle... un regard inquiet et tendre qui l'avait rasserenee. Son malaise se dissipait. La force d'Ermengarde paraissait s'insinuer en elle. Sa poitrine etait moins oppressee... Pourquoi fallut-il qu'a cet instant, elle croisat l'?il de Garin. La haine y brulait et lui communiqua un long frisson. Le visage contracte de l'Argentier etait celui d'un fou. Catherine aurait jure l'entendre grincer des dents... Heureusement, cette impression de terreur fut tres fugitive...

Quelques secondes plus tard, toujours soutenue par Ermengarde, elle se retrouvait a l'air libre. La nuit etait complete et siberienne mais du moins la jeune femme etait-elle debarrassee des odeurs de cire brulante et des lourdes volutes d'encens stagnant dans la chapelle.

— Cela va mieux ? demanda Ermengarde.

Elle la remercia d'un sourire confiant.

— Bien mieux ! Comment vous remercier ? Sans vous, je me couvrais de ridicule.

— Bah ! laissez donc ! Mais vous auriez du me dire ce qu'il en etait. Est-ce que... le duc sait ?

— Pas encore !

Toutes deux avaient fait quelques pas vers les batiments conventuels deployes au sud et a l'ouest de la chapelle. Des torches brulaient en se tordant dans leurs griffes de fer devant le logis du prieur, mais tout le reste de l'immense monastere etait noir et silencieux.

— Il fait sinistre ici ! fit Ermengarde avec un frisson. Partons !... Je me felicite d'avoir ordonne a mes gens de venir me prendre avec une litiere.

Refaire tout ce chemin dans la neige est au-dessus de mes forces. Voulez-vous que je previenne votre mari que je vous emmene ?

— C'est inutile ! repondit Catherine en hochant la tete. Mes faits et gestes n'interessent pas mon epoux.

— C'est qu'il est stupide ou sans c?ur ! Mais il y a longtemps que j'ai renonce a comprendre quelque chose a messire Garin ! Venez, ma chere !

Les deux femmes, en distribuant force saluts, avaient atteint le grand portail ouvert de l'abbaye. Elles allaient monter dans le lourd vehicule quand un page s'approcha d'elles. Il tenait un papier a la main et le tendit a Catherine :

— De la part de Monseigneur ! chuchota-t-il.

La jeune femme reconnut le petit Jean de Lannoy. L'adolescent lui sourit, salua profondement et s'eloigna pour rejoindre les equipages de son maitre.

Les deux femmes monterent en voiture et s'ensevelirent dans les coussins.

Ermengarde glissa un chaude-doux sous les pieds de son amie qui, deja, depliait le petit billet et le lisait a la lumiere incertaine d'une chandelle plantee dans un anneau dore contre la paroi de la litiere. Les rideaux de cuir protegeaient bien de l'aigre bise du dehors. Catherine, glacee jusqu'aux os, claqua des dents encore quelques instants. Mais le billet de Philippe l'enchanta.

«Je t'en supplie,ecrivait le duc, viens! Viens ce soir!... J'ai un terrible besoin de te voir et je ne reste que trois jours. Pardonne-moi de te presser.

Je t'aime trop, vois-tu ! Lannoy t'attendra jusqu'a minuit a la porte du jardin... »

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