Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 4
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Cependant, La Hire, les yeux retrecis, avait ecoute Gilles de Rais avec une fureur grandissante. Avant que Catherine ait eu le temps d'intervenir, il eclatait :
— Une sorciere ? Jehanne ? A qui d'autre que ce damne truand de La Tremoille comptez-vous faire croire ca, messire Gilles ? Etes-vous donc si peu chretien qu'il vous suffise d'un jugement ennemi, d'un eveque pourri pour changer votre maniere de voir ?
— Les gens d'Eglise ne se peuvent tromper, repliqua Rais d'une voix blanche.
— C'est vous qui le dites ! En tout cas, retenez ceci, Seigneur marechal : ne repetez jamais, vous entendez, jamais ce que vous venez de dire. Sinon, j'en jure Dieu, moi, La Hire, je vous ferai rentrer vos paroles dans la gorge au moyen de ceci.
Et La Hire, fou de colere, tirait deja son epee. Catherine vit les yeux du sire de Rais s'injecter de sang.
Elle avait toujours eprouve, devant lui, un malaise instinctif, mais, cette fois, sa repugnance s'affirmait. Ce qu'il avait ose dire de Jehanne la revoltait autant que la facilite avec laquelle il s'etait range du cote du tribunal ecclesiastique.
Comment Gilles de Rais pouvait-il oublier la fraternite des armes et les fulgurants combats dans le sillage de la Pucelle ?
Il porta, vers sa propre ceinture ou pendait la dague, une main qui tremblait et les ailes de son nez, pincees par la colere, se teintaient de bleu. On entendit grincer ses dents.
— C'est un defi ? Je n'en accepte de personne !... sans en demander raison.
Lentement, sans le quitter des yeux, La Hire repoussa son epee au fourreau, haussa ses lourdes epaules.
Non ! Un simple avertissement que vous pourrez transmettre, selon votre gre, a votre cousin La Tremoille qui a toujours voulu la perte de la Pucelle. Pour moi, comme pour beaucoup d'autres, Messire, Jehanne est venue de Dieu !
Il lui a plu de la rappeler comme jadis, sur un autre gibet, il a rappele son Fils. Le Seigneur Jesus etait venu sauver les hommes et les hommes ne l'ont point reconnu... comme ceux d'ici ne reconnaissent point la Pucelle. Mais moi, j'y crois... oui, je crois en elle !
Une ferveur s'etait etendue sur le visage burine du chef de guerre et son regard s'en allait chercher, dans la poussiere de soleil qui tombait d'une fenetre, le reflet eblouissant d'une armure blanche. Mais ce ne fut qu'un bref instant. La seconde suivante, La Hire abattait son poing sur la table et achevait sa phrase :
— ... et je defends a qui que ce soit de dire le contraire !
Peut-etre Gilles de Rais allait-il repliquer quelque chose, mais la porte de la salle venait de cogner contre le mur avec un claquement sec, poussee par une main vigoureuse. Sara, la coiffe en desordre, venait d'entrer comme une bombe, un soldat essouffle sur les talons et, moitie riant, moitie pleurant, tombait dans les bras de Catherine.
— Ma petite... ma petite ! C'est donc toi... C'est bien vrai que c'est toi... que tu es revenue ?
Les yeux de la bohemienne, qui avait pratiquement eleve Catherine, brillaient comme des etoiles, mais de grosses larmes inondaient ses joues tandis qu'elle serrait la jeune femme, a l'etouffer, contre sa poitrine plantureuse, couvrant son visage de baisers et ne s'arretant que pour la regarder et s'assurer que c'etait bien elle. Gagnee par l'emotion, Catherine pleurait avec elle et il etait impossible de demeler quoi que ce soit de coherent dans les paroles des deux femmes. La Hire, en tout cas, en eut vite assez. Sa voix de stentor tonna et les fit sursauter.
— Assez de mignardises ! Vous avez tout le temps pour ca !... Rentrez au couvent avec votre servante, dame Catherine ! Moi, j'ai mieux a faire.
Aussitot, Catherine s'arracha des bras de Sara, les yeux luisant d'espoir.
— Vous allez chercher Arnaud ?
Bien entendu. Expliquez-moi ou se trouve au juste cette ferme aupres de laquelle vous etiez arretes... et priez Dieu pour que je trouve quelque chose.
Si je ne trouve rien... alors c'est pour ceux qui me tomberont sous la main qu'il faudra prier !
Catherine s'expliqua du mieux qu'elle put, fouillant sa memoire pour y trouver le plus de details possible, susceptibles d'aider le capitaine. Quand elle eut fini, il se contenta d'un bref « Merci », prit son casque et se l'enfonca sur la tete d'un coup de poing, enfila ses gantelets et, aussi allegrement que si sa pesante carapace de fer eut ete un vetement de soie, degringola dans la cour en faisant autant de bruit qu'un bourdon de cathedrale. Catherine l'entendit hurler :
— A cheval, vous autres !...
Une trompette sonna. Quelques instants plus tard, la voute de la maison renvoyait l'echo, en forme de tonnerre, du lourd escadron de gens d'armes qui, au grand trot, se dirigeait vers la porte de la ville.
Quand le silence fut revenu, Gilles de Rais, qui avait jusque-la conserve une complete immobilite, s'approcha de Catherine, s'inclina.
— Vous reconduirai-je, belle dame, jusqu'au couvent ?
Elle secoua la tete, sans le regarder, alla prendre le bras de Sara.
— Grand merci, Seigneur, mais je prefere rentrer seulement avec Sara. Nous avons a parler.
Le soir vint sans ramener La Hire, et Catherine, ravagee d'angoisse, demeura des heures au plus haut du clocher du couvent des Bernardines, se tirant les yeux tant qu'il resta au ciel un peu de lumiere pour guetter la poussiere d'une troupe a cheval.
— Ils ne rentreront pas cette nuit, lui dit Sara quand le grincement des massives portes de la ville, que l'on fermait a l'appel des guetteurs, parvint jusqu'a elles. Tu ferais mieux d'aller te coucher. Tu es si lasse...
la jeune femme tourna vers elle un regard de somnambule qui traversait le corps vigoureux de la fidele servante.
— Je suis lasse mais je ne pourrais dormir. Alors, a quoi bon ?
— A quoi bon ? s'insurgea Sara, mais a te reposer ! Va au moins t'etendre. Tu sais bien que, si monseigneur La Hire rentre cette nuit, tu entendras l'appel des cors pour obtenir l'ouverture des portes. Et puis, il te fera prevenir immediatement. Enfin, moi je veillerai. Fais-moi plaisir. Va dormir un peu...
Pour lui faire plaisir, effectivement, apres un dernier regard a la campagne brulee dont la nuit cachait les blessures sous son epais manteau noir, Catherine se laissa guider jusqu'a la cellule qui avait ete la sienne avant la folle equipee de Rouen.
Sara la devetit, la coucha, la borda comme un bebe, puis, tout en pliant soigneusement les vetements que Catherine venait de quitter, en posant la coiffe de lin blanc sur une tete en bois a cet effet, annonca d'un ton bourru :
— Le seigneur de Rais est venu, un peu avant le salut, pour prendre de tes nouvelles. La mere Marie- Beatrice m'a fait prevenir et j'ai dit que tu dormais. La sainte abbesse ne pouvait pas mentir, mais moi je peux tres bien... et je n'aime pas du tout la tete de cet homme-la !
— Tu as bien fait...
Sara posa un baiser devotieux sur le front de Catherine et se retira sur la pointe des pieds, fermant la porte derriere elle.
Catherine demeura seule dans l'etroite piece aux murs de laquelle la flamme hesitante de la chandelle mettait des ombres fugitives. Tout son etre etait concentre dans ses oreilles, qui cherchaient a demeler, dans le silence exterieur, le bruit lointain d'une troupe en marche. Mais, peu a peu, les besoins de son organisme extenue prirent le dessus, dominant son inquietude et sa peine et, apres de longues heures de veille, au moment meme ou les religieuses quittaient leur dure couche pour chanter matines a la chapelle, Catherine s'endormit.
Mais le sommeil ne lui apporta pas la paix. Au fond de son inconscience, elle retrouva, intactes, les heures de terreur et de joie des derniers jours. En un effrayant kaleidoscope elle revit l'infect trou de sa prison ou s'allumaient, d'un seul coup, les flammes immenses du bucher. Puis c'etait le sac de cuir, ouvert devant elle et dans lequel des hommes noirs voulaient la jeter. Mais, cette fois, elle etait seule. La silhouette d'Arnaud, entrevue un instant, se dissolvait dans l'ombre, malgre ses cris, malgre les efforts qu'elle faisait pour l'atteindre, pour l'etreindre... Les mains des bourreaux s'abattaient sur elle et, dans son reve, elle tentait de crier, d'appeler celui qui, inexorablement, s'eloignait d'elle. Mais ses mains etaient liees et une force irresistible la courbait vers la terre, vers le sac ouvert qui grandissait, grandissait au point d'atteindre les dimensions d'un tunnel gluant ou elle s'engloutissait. Elle voulait appeler, sa voix n'etait qu'un souffle impuissant, vaguement ridicule, et la terreur paralysait ses membres. Elle se sentit lancee dans un vide enorme et soudain, avec un grand cri, se reveilla, trempee de sueur. Sara, en chemise, une chandelle a la main, se penchait sur elle et la secouait, d'une main posee sur son epaule.
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