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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 10


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— Le dieu des combats ! Je vous ai dit que je n'etais pas chretien.

Et, pour bien marquer qu'il n'avait pas envie d'en dire davantage, le grand Normand se mit a fredonner. Catherine se detourna. Son regard rencontra celui de Sara. Elles n'echangerent pas une parole, mais, dans les yeux sombres de son amie, la jeune femme n'avait pas lu, cette fois, la colere ou l'indignation. Rien que de l'etonnement et une sorte d'admiration.

Un martin-pecheur fila en criant au-dessus d'eux et piqua dans une flaque de soleil. Le bateau continua de glisser en paix.

Quand le jour baissa, Gauthier se mit a la recherche d'un coin pour passer la nuit. Les emotions de la journee avaient rompu les deux femmes et lui-meme sentait la lassitude venir. Il finit par decouvrir une petite greve non loin d'un moulin en ruine, qu'une veritable vague de vegetation couvrait presque completement.

— La, dit-il, nous serons a l'abri.

Personne ne repondit tant il semblait normal qu'il prit la direction des operations. Pourtant, depuis que la lumiere s'etait mise a decliner, l'humeur de Sara semblait, elle aussi, s'assombrir. Durant toute la derniere heure de navigation, elle avait tenu son regard fixe sur la pointe avant de la barque et n'avait sonne mot. Une fois que l'on eut pris pied sur le sable et que Gauthier les eut quittees pour une rapide reconnaissance autour du moulin ruine, Catherine en fit l'observation a la gitane.

— Qu'est-ce que tu as ? Pourquoi fais-tu cette mine ?

— Je ne suis pas tranquille, repliqua Sara, et, maintenant que la nuit vient, mon absence de tranquillite n'est pas loin de la peur toute simple.

— Et pourquoi donc ? Que crains-tu ? Avec un homme comme Gauthier, je crois bien que nous ne risquons rien.

Sara haussa nerveusement les epaules et vint s'asseoir-sur le sable aupres de Catherine, ses bras retenant ses jupes autour de ses genoux.

— C'est justement de lui que j'ai peur.

Catherine sursauta et regarda son amie avec stupeur.

— Pour le coup, tu es folle.

— Crois-tu ? riposta Sara avec une violence contenue. Que sais-tu de cet homme, de son passe ? Exactement ce qu'il t'a dit et que tu as cru comme article de foi. Mais s'il etait autre ? On dirait bien des choses pour sauver sa peau. Apres tout, c'est peut-etre lui qui avait massacre, pour les voler, ces malheureux paysans.

— Je ne crois pas ca ! s'ecria Catherine violemment.

— Moins haut, veux-tu, il peut revenir et il est inutile de l'exciter. Nous ne sommes pas riches, mais le peu d'or que tu possedes et nos quelques hardes representent une fortune pour un homme de cette sorte. Nous sommes livrees a lui comme des agneaux a l'ecorcherie. Il peut profiter de la nuit pour nous voler, nous tuer... ou pire encore !

— Pire ? fit Catherine les yeux ronds. Je ne vois pas ce qui pourrait nous arriver de pire que la mort.

— A moi non, mais a toi, si... Tu ne sais pas comme ce sauvage te regarde quand tu ne le vois pas. Moi je l'ai vu, et l'expression de son visage ne m'a pas rassuree. Je n'ai jamais vu le desir aussi clairement exprime.

Malgre son empire sur elle-meme, Catherine se sentit rougir. Peut-etre, parce qu'elle se sentait vaguement coupable. En effet, elle n'avait pas ete sans surprendre certains regards, mais elle avait refuse d'y ajouter d'importance. Son orgueil se rebellait a l'idee qu'un rustre comme Gauthier put voir en elle une simple femme. Et si sa voix vibra d'une colere contenue en repondant, c'etait moins contre Sara que contre elle- meme.

— Et quand cela serait ? Je sais me defendre, Sara, je ne suis plus une enfant.

— Il y a des moments ou je me le demande.

Sara eut le dernier mot. Le bruit d'un pas lourd

ecrasant des broussailles fit taire les deux femmes. Gauthier revenait. Il ne parut pas s'apercevoir de leur air gene et alla s'etendre un peu plus loin.

— Tout est tranquille ! dit-il. Mais je vais quand meme veiller une partie de la nuit. Vous, la femme noire, je vous reveillerai pour me relayer deux ou trois heures avant le jour...

La « femme noire » faillit se rebiffer, mais une envie de rire froncait le nez de Catherine, et elle ravala les paroles acerbes. Apres tout, le temps n'etait pas si eloigne ou, pour le cercle pouilleux du roi de Thune, le sinistre chef des cours des miracles parisiennes, elle etait Sara-la-Noire. Gauthier avait vu juste.

En silence, on mangea un peu de pain et de fromage, don des religieuses de Louviers, puis les deux femmes s'etendirent sur le sable, enroulees dans leurs manteaux, tandis que Gauthier allait s'asseoir un peu plus loin sur une grosse pierre. De sa place, Catherine pouvait voir sa silhouette accroupie se detachant sur le bleu sombre du ciel, semblable a quelque lion meditatif. Il ne bougeait pas plus qu'une souche ; pourtant la jeune femme sentit un frisson parcourir sa peau. En se rappelant le bref combat de l'apres-midi, elle se dit que Sara avait peut-etre raison, que l'homme, avec sa force terrible et sa science du combat, pouvait etre dangereux. Mais, peu a peu, sa peur s'apaisa. La-bas, a mi-voix, le Normand chantait. La langue qu'il employait etait inconnue de Catherine et elle ne comprenait rien de ce qu'il disait, mais il y avait une sorte de grandeur sauvage et rude dans ce chant dont les couplets s'achevaient comme une plainte.

Elle etait si bien envoutee par la bizarre melodie que le cri desagreable d'un oiseau nocturne eclatant pres d'elle ne rompit pas l'enchantement. D'ailleurs, peu a peu, le sommeil appesantissait ses paupieres. Bercee par la chanson monotone du geant, elle rejoignit dans le sommeil Sara, que ses inquietudes n'empechaient pas de ronfler avec ardeur. Et la nuit s'ecoula sans incident...

Au matin, pourtant, comme ils allaient se remettre en route et que Sara, un peu plus loin, baignait sa figure dans la riviere, Catherine s'approcha de Gauthier.

— Je t'ai entendu chanter, hier soir, mais je n'ai pas compris une parole.

— C'etait la langue des vieux Normands, vous ne pouviez pas comprendre. On appelait ce chant la Saga d'Harald le Vaillant.

— Et que disaient ces paroles ?

Gauthier se detourna pour detacher la corde du bateau du tronc ou il l'avait nouee, puis, sans regarder Catherine, repondit :

— Elles disent : « Je suis ne dans le haut pays, la ou retentissent les arcs ; mes vaisseaux sont l'effroi des peuples, j'ai fait craquer leurs quilles sur la cime cachee des ecueils, loin de la derniere habitation des hommes ; j'ai creuse de larges sillons dans les mers... et cependant une fille de Russie me dedaigne. »

Quand la voix lente du Normand s'eteignit, Catherine ne repliqua rien. Elle s'enveloppa de son manteau et, les joues en feu, alla s'asseoir au fond du bateau. Decidement, il lui faudrait surveiller plus etroitement les gestes de Gauthier !

Apres quatre jours de voyage, un soir, a l'heure ou le soleil se couchait dans son lit moire d'or, les tours de Chartres creverent l'horizon de leurs fleches noires. L'Eure, sous le bateau, courait plus gonflee, plus bleue et plus blanche, plus resserree aussi entre des talus jaillissant de folle vegetation qui tranchaient comme une fourrure sur le velours ocre de la grande plaine brulee. Le grand chemin liquide s'etait fait sentier et le voyage au fil de l'eau s'achevait. Sans grand-peine, il faut le dire. La fatigue avait ete minime pour les deux femmes et l'on avait mange a sa faim. La terrible hache de Malencontre savait aussi atteindre le gibier a la course et le forestier connaissait la vie des bois et des champs comme personne.

Sous les murailles brunes de la vieille cite des Carnutes, l'Eure se divisait en plusieurs bras dont l'un se glissait sous les courtines par une voute fortement grillee pour alimenter les tanneries et les moulins, et l'autre emplissait le large fosse ceinturant la ville. Gauthier tira la barque au sec sur une petite greve de terre brune, a l'a-pic d'une des grosses tours qui defendaient la porte Drouaise.

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