Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 15
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A peine entree, Sara alluma le feu tandis que Catherine rejetait, avec une hate suspecte, les vetements pretes par Kennedy.
— Tu es bien pressee ? remarqua Sara. Tu aurais pu attendre que la chambre soit chaude.
— Non. J'ai hate de redevenir moi-meme. Nul ne songera plus a me manquer de respect quand j'aurai repris mon aspect habituel. Et ces vetements bizarres me deplaisent.
— Hum ! fit Sara sans s'emouvoir. J'ai idee que tu as plus besoin de te rassurer que d'impressionner les autres ! Remarque bien que j'applaudis a cette decision. Si tu n'aimes pas ce costume, moi, je l'ai en horreur. Dans ma vieille robe au moins, je n'ai pas l'impression d'etre grotesque.
Et, joignant le geste a la parole, Sara se mit, elle aussi, a se deshabiller.
Au lever du jour, Catherine entendit la messe dans la basilique glaciale en compagnie de Sara, s'agenouilla devant le plus vieux des moines hoteliers pour recevoir sa benediction, puis s'en alla rejoindre ses compagnons. Mais, en voyant paraitre sous le porche de la basilique, dans les rouges rayons du soleil levant, la dame noire de Carlat, Mac Laren eut un haut-le-corps. Un pli de contrariete se creusa entre ses sourcils, tandis qu'au contraire une sombre joie brillait dans les yeux de Gauthier. Depuis deux jours, le Normand n'avait pas desserre les dents. Il chevauchait a l'ecart, en arriere de toute la troupe, front tetu et visage ferme malgre les efforts de Catherine pour l'appeler aupres d'elle. La jeune femme avait d'ailleurs fini par renoncer. La haine qui fermentait entre l'homme des forets et l'homme des Hautes Terres etait presque palpable.
Mais, avant que le lieutenant n'eut reagi, Gauthier avait couru jusqu'aupres de Catherine.
— Je suis heureux de vous revoir, Dame Catherine, dit-il comme s'il l'avait quittee depuis beaucoup plus longtemps qu'une nuit.
Puis, avec l'orgueil d'un roi, il lui avait offert son enorme poing ferme pour qu'elle y posat sa main. Cote a cote, ils etaient revenus vers le detachement. Mac Laren les regardait venir, les poings aux hanches, un pli de mauvais augure au coin des levres. Quand elle fut pres de lui, il detailla Catherine de la tete aux pieds.
— Vous pensez chevaucher dans cet equipage ?
— Et pourquoi pas ? Les femmes ont-elles coutume de voyager autrement ? J'avais demande un costume d'homme parce que cela me semblait plus pratique, mais j'ai compris que c'etait une erreur.
— L'erreur, c'est ce voile noir ! un aussi ravissant visage ne se cache pas !
D'un doigt nonchalant il soulevait deja le frele rempart de mousseline, mais la main de Gauthier s'abattit sur son poignet, s'y referma.
— Lachez cela, messire, fit le Normand paisiblement, si vous ne voulez pas que je vous casse le bras !
Mac Laren ne lacha pas et se mit a rire.
— Tu commences a tenir trop de place, maraud ! Hola ! vous autres... Mais avant que les hommes d'armes se fussent elances sur Gauthier, Frere Etienne, qui sortait de la maison-Dieu, se jeta entre Mac Laren et le Normand. L'une de ses mains se posa sur le poignet de Gauthier, l'autre sur la main de l'Ecossais, celle qui tenait le voile.
— Lachez tous deux ! Au nom du Seigneur... et au nom du Roi !
Si grande etait l'autorite qui vibrait soudain dans la voix calme du moine que les deux hommes, subjugues, lui obeirent machinalement.
— Merci, Frere Etienne, dit Catherine avec un soupir de soulagement. Partons maintenant car nous n'avons que trop perdu de temps. Quant a vous, sire Mac Laren, j'espere que vous saurez vous comporter, a l'avenir, comme doit le faire un chevalier envers une dame.
Pour toute reponse, l'Ecossais courba sa haute taille, presentant a la jeune femme ses deux mains nouees pour qu'elle y posat son pied.
C'etait un aveu de defaite tacite en meme temps qu'un geste chevaleresque de soumission. Catherine eut un sourire de triomphe, mais, d'un geste dont elle ne calcula pas l'inconsciente coquetterie, elle rejeta le voile par-dessus le haut tambourin qui la coiffait. Son regard plongea dans les yeux bleu pale du jeune homme. Ce qu'elle y lut fit monter un peu de rose a ses joues, mais, appuyant legerement le bout de sa botte sur les mains nouees, elle s'envola jusqu'a la croupe du cheval. La paix etait revenue. Chacun en fit autant et l'on quitta Mauriac sans que personne se fut apercu que l'ombre etait revenue sur la figure de Gauthier.
Cet incident, d'ailleurs, devait preluder a quelque chose d'infiniment plus grave. Vers la fin de la matinee, la troupe de cavaliers atteignait Jaleyrac. La, l'epais moutonnement des bois faisait treve tout a coup pour degager, au milieu de champs assez bien entretenus ou devaient pousser le seigle et le sarrasin, une grosse abbaye et un modeste village, mais l'ensemble donnait une extraordinaire impression de paix. C'etait peut-etre a cause du soleil leger qui dorait la neige ou bien a cause de l'egrenement doux d'une cloche, mais il y avait, dans cette tres humble bourgade, dans ce couvent rustique quelque chose de particulier. Plus etrange encore : les gens ne se terraient pas comme dans les autres villages. Il y avait meme beaucoup de monde dans l'unique rue montant vers l'eglise trapue. Quand on parvint en vue du pays, Mac Laren retint son cheval pour se mettre a la hauteur de celui qui portait Frere Etienne. A califourchon derriere un maigre Ecossais qu'il doublait douillettement, le petit moine avait semble jouir intensement du voyage jusqu'a ce moment.
— Que font la tous ces gens ? demanda brievement Mac Laren.
— Ils vont a l'eglise, repondit Frere Etienne. A Jaleyrac, on venere les restes de saint Meen, un moine venu jadis du pays de Galles, au-dela des mers, et dont l'abbaye bretonne a ete pillee et brulee par les Normands. Les moines ont fui droit devant eux. Et s'il y a tant de monde, c'est que saint Meen passe pour s'occuper tout particulierement des lepreux.
Le mot frappa Catherine en plein c?ur. Elle devint blanche jusqu'aux levres et dut s'agripper pour ne pas tomber aux epaules de Mac Laren.
— Les lepreux !..., dit-elle d'une voix blanche.
Elle n'en dit pas plus, la voix arretee dans la gorge.
C'est qu'aussi la foule qui se pressait dans l'unique rue avait quelque chose de terrible. Des etres dont on ne savait plus s'ils etaient des hommes ou des femmes se trainaient dans la neige, appuyes sur des bequilles en forme de T, ou sur des cannes, montrant des membres qui noircissaient a moins qu'ils ne fussent plus que moignons, d'etranges ulceres devorant une face ou des membres, des boursouflures, des dartres, des tumeurs, une affreuse humanite qui semblait vomie par l'enfer lui-meme et qui, hurlant, psalmodiant, gemissant, tendait vers le sanctuaire qui une main, qui un cou avide. Des moines antonins vetus de gris, un tau d'email bleu a l'epaule, penchaient vers eux leurs tetes rasees, les aidaient a gravir le chemin.
— Des ladres, fit Mac Laren avec degout.
Non, rectifia Frere Etienne, tout sauf des ladres... Il y a la des galeux, des erysipelateux, des Ardents victimes des racines pourries, des farines avariees qu'ils ont mangees par misere et qui les font bruler et charbonner tout vivants Voila les lepreux !
En effet, d'une grossiere enceinte entourant quelques cabanes dressees fort a l'ecart du village, une autre procession sortait : des hommes vetus uniformement d'une tunique grise frappee d'un c?ur ecarlate, un camail rouge enserrant le" visage sous un large chapeau qui l'ombrageait. Tous agitaient une crecelle, qui resonnait lugubrement dans l'air pur de ces hauteurs, en s'avancant vers le village. Et voila que, devant eux, meme l'abominable foule des malades s'ecartait avec horreur. Ces dechets humains se mettaient a courir comme ils pouvaient vers le monastere ou bien se tassaient contre les maisons pour se garder du contact impur, eux qui n'etaient qu'impurete. Catherine, les yeux brouilles de larmes, regardait de toute son ame. Cette vue reveillait sa douleur, lui restituait l'acuite affolante des premiers jours. Ces miserables, c'etait desormais le monde de l'homme qu'elle ne pouvait cesser d'aimer, qu'elle adorerait tant qu'il lui resterait un souffle de vie.
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