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Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian - Страница 1


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Hans Christian Andersen

Contes merveilleux, Tome II

Contes merveilleux, Tome II - pic_1.jpg

L'ombre

Un jour, un savant homme des pays froids arriva dans une contree du Sud; il s'etait rejoui d'avance de pouvoir admirer a son aise les beautes de la nature que developpe dans ces regions un climat fortune; mais quelle deception l'attendait! Il lui fallut rester toute la journee comme prisonnier a la maison, fenetres fermees; et encore etait-on bien accable; personne ne bougeait; on aurait dit que tout le monde dormait dans la maison, ou qu'elle etait deserte. Tout le jour, le soleil dardait ses flammes sur la terrasse qui formait le toit; l'air etait lourd, on se serait cru dans une fournaise: c'etait insupportable.

Le savant homme des pays froids etait jeune et robuste; mais sous ce soleil torride, son corps se dessechait et maigrissait a vue d'oeil; son ombre meme se retrecit et rapetissa, et elle ne reprenait de la vie et de la force que lorsque le soleil avait disparu. C'etait un plaisir alors de voir, des qu'on apportait la lumiere dans la chambre, cette pauvre ombre se detirer, et s'etendre le long de la muraille.

Le savant homme a ce moment se sentait aussi revivre; il se promenait dans sa chambre pour ranimer ses jambes engourdies et allait sur son balcon admirer le firmament etoile. Sur tous ces balcons, il voyait apparaitre des gens qui venaient respirer l'air frais. La rue aussi commencait a s'animer; les bourgeois s'installaient devant leurs portes; des milliers de lumieres scintillaient de toutes parts.

Il n'y avait qu'une maison ou continuat a regner un complet silence; c'etait celle en face de la demeure du savant etranger. Elle n'etait pas inhabitee cependant; sur le balcon verdissaient et fleurissaient de belles plantes; il fallait que quelqu'un les arrosat, le soleil sans cela les aurait aussitot dessechees.

La soiree s'avancait; voila que la fenetre du balcon s'entrouvrit un peu; la chambre resta sombre; de l'interieur arriverent de doux sons d'une musique que le savant etranger trouva delicieuse, ravissante. Il alla demander a son proprietaire quelles etaient les personnes qui demeuraient en face; le brave homme lui repondit qu'il n'en savait rien.

Une nuit, le savant etranger s'eveilla; il avait, le soir, laisse la fenetre de son balcon ouverte; il regarda de ce cote et il crut apercevoir une lueur extraordinaire rayonner du balcon de la maison d'en face: les fleurs paraissaient briller comme de magnifiques flammes de couleur, et au milieu d'elles se tenait une jeune fille d'une beaute merveilleuse; elle semblait un etre ethere, tout de feu.

Un autre soir, le savant etranger reposait sur son balcon; derriere lui, dans la chambre, brulait une lumiere, et, chose naturelle, il en resultait que son Ombre apparaissait sur la muraille de la maison d'en face; l'etranger remua, l'Ombre bougea egalement et la voila qui se trouve entre les fleurs du balcon d'en face.

– Je crois, dit le savant etranger, que mon Ombre est en ce moment le seul etre vivant de cette mysterieuse maison. Tiens, la fenetre du balcon est de nouveau entrouverte. Une idee! Si mon Ombre avait assez d'esprit pour entrer voir ce qui se passe a l'interieur et venir me le redire… Oui, continua-t-il, en s'adressant par plaisanterie a l'Ombre, fais-moi donc le plaisir d'entrer la. Cela te va-t-il? Et en meme temps, il fit un mouvement de tete que l'Ombre repeta comme si elle disait: «oui.»

– Eh bien, c'est cela, reprit-il; mais ne t'oublie pas et reviens me trouver. A ces mots, il se leva, rentra dans la chambre et laissa retomber le rideau.

Alors, si quelqu'un s'etait trouve la, il aurait vu distinctement l'Ombre penetrer lestement par la fenetre d'en face et disparaitre dans l'interieur.

Le lendemain, comme il ne faisait plus si chaud, le savant etranger sortit. Le ciel etait couvert de nuages; mais voila qu'ils se dissipent, le soleil reparait.

– Qu'est cela? s'ecrie l'etranger qui venait de se retourner pour considerer un monument. Mais c'est affreux! Comment, je n'ai plus mon Ombre! Elle m'a pris au mot; elle m'a quitte hier soir. Que vais-je devenir?

Le soir, il se remit sur son balcon, la lumiere derriere lui; il se dressa de tout son haut, se baissa jusque par terre, fit mille contorsions; puis il appela hum hum, et pstt, pstt; l'Ombre ne reparut pas.

Decidement, ce n'etait pas gai. Mais dans les pays chauds, la vegetation est bien puissante; tout y pousse et prospere a merveille, et au bout de huit jours, l'etranger apercut, a la lueur de sa lampe, un petit filet d'ombre derriere lui.»Quelle chance! se dit-il. La racine etait restee.»

La nouvelle ombre grandit assez vite; au bout de trois semaines, l'etranger s'enhardit a se montrer de jour en public, et lorsqu'il repartit pour le Nord, sa patrie, on ne remarquait plus chez lui rien d'extraordinaire.

De retour dans son pays, le savant homme ecrivit des livres sur les verites qu'il avait decouvertes et sur ce qu'il avait vu dans ce monde meridional.

Un soir qu'il etait dans sa chambre a mediter, il entend frapper doucement a sa porte.»Entrez!» dit-il. Personne ne vint. Alors, il alla ouvrir lui-meme la porte, et devant lui se trouva un homme d'une extreme maigreur; mais il etait habille a la derniere mode: ce devait etre un personnage de distinction.

– A qui ai-je l'honneur de parler? dit le savant.

– Oui, je le pensais bien, que vous ne me reconnaitriez pas, repondit l'autre. Je ne suis pas bien gros, j'ai cependant maintenant un corps veritable. Vous continuez a ne point me remettre? Mais, je suis votre ancienne Ombre. Depuis que je vous ai quitte, acquis une belle fortune. C'est ce qui me permettra de me racheter du servage ou je me trouve toujours vis-a-vis de vous.

– Non, permettez que je revienne de ma surprise, s'ecria le savant. Voyons, vous ne vous moquez pas de moi?

– Du tout, repondit l'Ombre. Mon histoire n'est pas de celles qui se passent tous les jours. Lorsque vous m'avez autorisee a vous quitter, j'en ai profite comme vous le savez. Cependant, au milieu de mon bonheur, j'ai eprouve le desir de vous revoir encore une fois avant votre mort, ainsi que ce pays. Je sais que vous avez une nouvelle ombre. Ai-je a lui payer quelque chose parce qu'elle remplit mon service, et a vous combien devrai-je si je veux me racheter?

– Comment, c'est vraiment toi? dit le savant. Jamais je n'aurais eu l'idee qu'on pouvait retrouver son Ombre sous la forme d'un etre humain.

– Pardon si j'insiste, reprit l'Ombre. Quelle somme ai-je a vous verser pour que vous renonciez a l'autorite que vous avez toujours sur moi?

– Laisse donc ces sornettes, dit le savant. Comment peut-il etre question d'argent entre nous. Je t'affranchis et je te fais libre comme l'air. Je suis enchante d'apprendre que tu as si bien fait ton chemin dans ce monde. Seulement je te prie d'une chose; raconte-moi tes aventures depuis le moment ou tu t'es faufilee par la fenetre du balcon dans la maison en face de celle que nous habitions.

– Je veux bien vous en faire le recit, dit l'Ombre; mais promettez-moi de n'en rien reveler, de ne pas apprendre aux gens que je n'ai ete qu'un etre impalpable. Il me peut venir l'idee de me marier, et je ne tiens pas a ce qu'on me suppose sans consistance.

– C'est entendu, dit le savant.

Avant de commencer, l'Ombre s'installa a son aise. Elle etait toute vetue de noir, ses vetements etaient du drap le plus fin, ses bottes en vernis; elle portait un chapeau a claque, dont par un ressort on pouvait faire une simple galette: on venait d'inventer ce genre de coiffure, qui n'etait encore d'usage que dans la plus haute societe.

Elle s'assit et posa ses bottes vernies sur la tete de la nouvelle ombre qui lui avait succede et qui se tenait comme un fidele caniche aux pieds du savant; celle-ci ne parut pas ressentir l'humiliation et ne bougea pas, voulant ecouter attentivement comment la premiere s'y etait prise pour se degager de son esclavage.

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